25 octobre 1836 : Érection de l’obélisque de la Concorde

Le 25 octobre 1836, est érigé à Paris, sur la place de la Concorde, un obélisque en provenance du temple pharaonique de Louqsor (Égypte) et vieux d’environ 4 000 ans (on peut le considérer comme « le plus ancien monument de Paris »).

Cadeau de roi

L’obélisque est le deuxième cadeau diplomatique du wali ou vice-roi d’Égypte Méhémet Ali à la France. Le 9 juillet 1827, sous le règne de Charles X, Paris avait déjà accueilli un girafon répondant au doux nom de Zarafa, premier animal de son espèce à fouler le sol français.
Reprenant une tradition bimillénaire inaugurée à Rome par l’empereur Auguste, ou plutôt Mécène, qui eut le premier l’idée d’utiliser les obélisques égyptiens comme décor urbain, le wali propose à la France et à l’Angleterre de leur faire cadeau des deux obélisques d’Alexandrie en remerciement de leur contribution à la modernisation du pays. Mais en connaisseur avisé, l’égyptologue Jean-François Champollion lui suggère d’offrir plutôt à la France les deux obélisques de Louqsor.
Sculpté dans un monolithe de granit, l’obélisque occidental, celui qui fut choisi pour être le premier transporté à Paris, mesure 22,84 mètres et pèse près de 230 tonnes. La polémique fait rage sur l’endroit où l’ériger. Finalement, le nouveau roi Louis-Philippe 1er, dans un souci d’apaisement, tranche en faveur de la place de la Concorde.
Le jour venu, l’érection se déroule sous les yeux d’une foule ébahie – environ 200 000 personnes – et du roi en personne, au balcon de l’hôtel de la Marine. Notons que les difficultés de l’opération dissuadèrent les Français d’aller chercher aussi le deuxième obélisque.

Déposé en octobre 1831, le monument arriva à Paris deux ans plus tard. La toile de Dubois représente l’instant où, le 25 octobre 1836 à 15 heures, l’obélisque vient de retrouver une position verticale. C’est le moment où la foule acclame les quelque trois cents artilleurs et marins qui ont actionné les dix cabestans nécessaires à l’érection de ce monolithe de granit de plus de 230 tonnes. C’est aussi le moment où elle acclame l’ingénieur Apollinaire Lebas, qui a dirigé les opérations depuis la dépose de l’obélisque à Thèbes jusqu’à sa mise en place à Paris et qui devient alors une figure nationale. C’est enfin le moment où la foule parisienne acclame un nouveau monument de sa ville. Inédit, il emporte l’enthousiasme grâce à l’exotisme de son décor et à son allure imposante ; aiguille autant qu’index, il organise le paysage de ce quartier de Paris tout en annonçant – enfin ! – l’aménagement définitif de la place, un aménagement résolument tourné vers l’avenir et débarrassé des sombres souvenirs du lieu.

Un navire sur mesure

Tout commence en 1829, lorsque le vice-roi d’Égypte Méhémet-Ali propose de faire don à la France de deux obélisques d’Alexandrie. L’égyptologue Jean-François Champollion fait alors la fine bouche. Plutôt que de prendre les obélisques proposés, il exhorte le gouvernement français à porter son dévolu sur ceux du temple de Louxor, deux monuments édifiés sous le règne de Ramsès II, au XIIIe siècle avant Jésus-Christ. Certes mieux conservés, certes plus prestigieux… Mais situées à 700 kilomètres en amont de l’embouchure du Nil ! Le gouvernement égyptien finit par donner son feu vert. Dans les mois qui suivent, la marine écarte divers projets de transport par radeau et fait voter un budget initial par le Parlement. Un navire de transport étonnant, le Luxor, est alors construit sur mesure à Toulon. Parallèlement, les opérations liées au voyage de l’obélisque sont confiées à l’ingénieur du génie maritime Apollinaire Lebas, le lieutenant de vaisseau Raymond de Verninac-Saint-Maur et son second, Léon de Joannis, assurant le commandement du Luxor. Le bateau quitte Toulon en avril 1831 avec, à son bord, cent vingt et un passagers et plusieurs tonnes de matériel.

 

Abattage de l’obélisque de Louxor. Maquette au 1/66.© A. Fux Musée national de la Marine

 

 

Vue de l’abattage de l’obélisque, in Campagne du Luxor (1835). Estampe, 1831, Léon de Joannis© A. Fux Musée national de la Marine

 

Arrivé en août à Louxor, l’équipage doit faire face à une épidémie de choléra. Les choses se compliquent aussi du côté de l’obélisque : la colonne présente une fissure de huit mètres à partir de la base. Enrobé dans un coffrage de protection en bois, le monolithe va être descendu en deux mouvements le 31 octobre, au moyen de deux appareils actionnés par deux cents hommes. Il faut ensuite construire un glissoir en bois pour permettre le halage de l’obélisque jusqu’au Luxor. Le 19 décembre 1831, l’embarquement de l’obélisque est effectué en deux heures par quarante-huit hommes actionnant quatre cabestans. Il faut alors attendre la crue du Nil – quelques mois – pour procéder à l’appareillage. Le 2 janvier 1833, le bateau arrive à Alexandrie, après avoir attendu plusieurs semaines qu’un coup de mer fasse augmenter le niveau d’eau au-dessus de la barre de sable de Rosette.

Vue du Louxor avant son retour en France, Léon de Joannis, 1832.© Collection particulière/Muse national de la Marine

 

Où va-t-on placer l’obélisque ?

Finalement, le Luxor, remorqué par le Sphinx, se met en route le 1er avril pour Toulon, où il finit par arriver le 10 mai après deux escales, à Rhodes et à Corfou. À l’issue de sa quarantaine à Toulon, l’expédition reprend sa route, via Gibraltar et La Corogne, et atteint Cherbourg le 12 août. Elle y reçoit, le 2 septembre, la visite du roi Louis-Philippe. Enfin, le 12 septembre, toujours remorqué, le navire part pour Le Havre, où le petit vapeur civil la Héva conduit le Luxor en deux jours jusqu’à Rouen. Démâté, rasé et allégé, il quitte Rouen le 13 décembre halé par des chevaux qui doivent changer de rive suivant la configuration du cours du fleuve. Le 23 décembre 1833, deux ans et huit mois après son départ de Toulon, le Luxor est enfin amarré au pont de la Concorde à Paris.

Mais l’ultime question n’est toujours pas résolue et se transforme vite en débat national : où va-t-on placer l’obélisque dans Paris ? On fait alors construire par des décorateurs de théâtre deux obélisques grandeur nature en carton-pâte aux Invalides et place de la Concorde. Et chacun y va de son jugement, de sa préférence. Mais le roi Louis-Philippe finit par trancher : ce sera la Concorde. Le Luxor, lui, n’a pas fini sa course : pour élever le monolithe, il faut un piédestal. En juillet 1835, le voilà donc reparti dans le Finistère, remorqué par le Sphinx, pour rapporter 240 tonnes, en cinq blocs, de granit de l’Aber-Ildut. Le monolithe de Louxor n’attend plus que La Flûte enchantée pour devenir à tout jamais l’obélisque de la Concorde.

CONTEXTE HISTORIQUE

Inaugurée en 1763 dans la tradition des places Royale, des Victoires et Vendôme, l’actuelle place de la Concorde était initialement l’écrin de la statue équestre du roi Louis XV, une place à sa gloire. L’érection le 25 octobre 1836 de l’obélisque de Louxor offert par le pacha d’Égypte à Louis-Philippe donna lieu à une fête populaire comme à un événement mondain de premier ordre et dépassa la simple ovation de la prouesse technique.
Conçue par Anne-Jacques Gabriel, la place est alors en cours d’aménagement sous la direction de l’architecte Jacques Hittorff. Elle a été le théâtre de grands événements parisiens liés à l’histoire de France. Des exécutions capitales de la Révolution aux fêtes grandioses de l’Empire, son identité a été marquée par de grands rassemblements populaires. Aussi pourquoi a-t-on préféré à la statue de Louis XV un obélisque à la gloire de Ramsès II ?

INTERPRÉTATION

En centrant sa composition sur l’obélisque et en lui donnant une ligne d’horizon relativement basse, Dubois signifie l’optimisme joyeux qui salua la prouesse technique. Cela lui permet aussi de souligner le rôle polarisant du monument qui se trouve à la croisée des lignes de fuite qui, initialement, devaient rayonner depuis la statue du roi et que l’obélisque désormais relaie. L’axe est-ouest est signifié par la saillie du pavillon des Tuileries, visible derrière le jardin du même nom, et, en bas à droite, par l’amorce de la balustrade de l’avenue des Champs-Élysées : la demeure du roi d’un côté, le lieu des plaisirs populaires de l’autre. La longue rampe qui permit de redresser l’obélisque souligne l’axe transversal qui relie les pavillons de Gabriel, à gauche, à la Chambre des députés, à droite, respectivement symboliques du gouvernement et de la représentation populaire. Avec sa silhouette haute et effilée, l’obélisque organise rationnellement l’espace de la place, carrefour historique et civique qu’honore le nom donné par le Directoire pour célébrer la concorde nationale. C’est ce que la foule compacte du 25 octobre 1836 – mais aussi la famille royale, au balcon du ministère de la Marine – est venue saluer.